« Des vivants », piqûre de rappel efficace

13 Novembre 2015… Des tirs d’armes automatiques percent la nuit, des victimes tombent, la ville entière frisonne sous les sirènes des secours et des polices, la peur et la sidération nous paralysent. Une date qui restera dans nos mémoires comme un souvenir cuisant. Un choc brutal ! Comme avant cela, le 11 Septembre 2001 et un peu plus tard, sans comparaison aucune en termes de victimes, le 15 avril 2019 ( incendie de Notre Dame ).

Au dixième anniversaire de cette date funeste, c’était une bonne idée de faire une mini-série racontant l’histoire de survivants du Bataclan. Le réalisateur Jean-Xavier de Lestrade s’y est attelé, avec beaucoup d’humilité et le résultat est tout simplement exceptionnel. Point de voyeurisme dans ce film, ni de sensationnalisme, même s’il répond aux questions qui étaient les nôtres instantanément devant nos écrans de télévision en ce soir de Novembre.

Le parti-pris, merveilleux de pudeur et de sensibilité, est de raconter l’histoire de 5 hommes et 2 femmes pris en otage par les terroristes pendant plus de deux heures, avant d’être sauvés par la BRI dans une action commando exemplaire qui restera dans les manuels.

La série vise à raconter les faits, mais plus encore, les années qui ont suivi faites de traumatismes, de cauchemars, de chocs psychologiques, d’analyses, de soutiens et de réinsertions. De l’humain, juste de l’humain, rien que de l’humain…. Ce qui fait de ce film un chef d’oeuvre d’émotion est l’interprétation exceptionnelle des acteurs, tous en état de grâce. Ils sont tellement bons qu’on croirait vraiment avoir affaire aux protagonistes du drame. Ils ont formé un groupe de potes-otages ( « les potages » ) qui se rassemblent souvent comme pour trouver une catharsis à la douleur. Seuls ceux ayant vécu les événements sont en mesure de comprendre la détresse des autres. Et ce groupe devient très soudé pour affronter la suite.

Cette série mérite absolument d’être vue pour le jeu des acteurs. Ils sont tous absolument bluffants dans les rôles de ces otages, mais aussi dans ceux des conjoints qui résistent vaillamment aux vents mauvais pour soutenir leur proche. Souvent les larmes montent aux yeux du spectateur. C’est dur, brutal et lancinant. Je ne peux pas ne pas les nommer, tant ils méritent les félicitations les plus vives, tous individuellement et collectivement : Benjamin Lavernhe, Alix Poisson, Antoine Reinartz, Felix Moati, Anne Steffens, Thomas Goldberg, Cedric Eeckhout. Quelle maestria ! Ils honorent les vrais survivants de la plus belle des façons. Quant au spectateur, il communie avec les victimes au coeur du Bataclan même, et dans la chair souffrante des survivants pendant les années qui ont suivi.

Bravo à tous. C’est sans doute la plus belle série du moment….

Vie Privée, suspense un peu facile

Un film un peu déroutant…

Une Jodie Foster très solide en psychanaliste ayant ses propres failles ; une histoire de suicide présentant des apparences douteuses ; un mari ( Mathieu Almaric ) aux yeux révulsés de colère et au comportement excessif; une incursion dans l’hypnose qui dévoile des images du passé ; un inconscient à fleur de peau ; une série d’incidents qui déstabilise la rationalité de l’enquêtrice.

Tous les ingrédients sont là pour une montée en puissance presque hitchkokienne. Et pourtant, cela ne marche pas totalement. Les ficelles sont un peu grosses. Une image crépusculaire, de la pluie continuelle et surtout une musique envahissante, parfois agressive, qui meuble le moindre temps mort, tout semble fait pour mettre le spectateur sous tension. Mais l’histoire n’est pas assez charpentée pour justifier cet étalage de suspense, et cela fait un peu flop…

Heureusement notre Jodie tient bien la route, et quand un sourire apparaît sur son visage tourmenté, le récit s’offre un intermède précieux. Surtout, la complicité avec Daniel Auteuil est réjouissante. De même que le silence effaré du fils Vincent Lacoste face à une mère hallucinée, en roue libre… On se laisse porter donc, malgré tout.

Au final, notre réalisatrice s’aventure sur un terrain ardu, celui de l’irruption de l’inconscient dans le quotidien d’une femme de santé, en espérant qu’une actrice de premier plan et des vieux trucs de réalisation réussiront à façonner une histoire. C’est moitié réussi, mais du fait de la qualité de l’interprétation, cela vaut bien mieux que la moyenne….

T’as pas changé : doux amer et drôle…

Vu en arrière-première, soit 20 jours après la sortie, et je suis content de ne pas être passé à côté.

Ce film est chaleureux, à l’image de son réalisateur Jerome Commandeur. Il explore le passé, dans ce qui est de plus consensuel et plus fédérateur, les amitiés scolaires. La mémoire enjolivée de cette période de la vie, alors que les années se sont depuis accumulées et que l’heure des bilans approche, est-elle à la hauteur de la réalité ?

Pas vraiment, nous répond Commandeur. Car la jeunesse est un état bulldozer souvent très égocentrique… Et on fait des dégâts, parfois beaucoup de dégâts sans en être conscient. Alors quand on souhaite se pencher sur ses jeunes années avec la nostalgie en bandoulière, la boite de pandore s’ouvre parfois dans un grand bruit d’explosions et d’amertume…

C’est en cela que Commandeur touche juste. Ses retrouvailles sont tout sauf tranquilles. Rimbaud l’avait bien écrit, « on n’est pas sérieux quand on a 17 ans ». Et même carrément bête… « T’as pas changé » plonge tête baissée dans ces années insouciantes. Avec le recul qu’offre la connaissance de la suite pour chaque protagoniste. C’est bien fait, avec la délicatesse d’un humoriste au grand coeur. Il ne se donne pas le beau rôle, avec la modestie qui le caractérise, mais réussit à rassembler autour de lui une brochette d’acteurs convaincants. Celle qui domine le sujet de la tête et des épaules est Vanessa Paradis, superbe dans un contre-emploi étonnant. Il faut la voir soule et amère, jurant comme un charretier. Une merveille !…

Ce film est un régal, car il mobilise toutes les générations. Les tours de cochon, les crasses, les amourettes, les tubes du moment, tout cela nous parle. Cela stimule nos neurones sur les destins différents qui auraient pu naître, si nous avions été moins cons. Cela rend aussi sympathiques tous ces anciens qui ont mal vieilli et qui se demandent à quel moment cela a complètement foiré.

C’est la vie, dans son expression la plus simple, la comparaison du présent avec les rêves d’avenir du passé. Le film raconte ce parcours transgénérationnel avec humour, sincérité, et tendresse. Alors, bien sûr, ce n’est pas un grand film ; c’est léger ; cela laissera beaucoup de monde au bord du chemin. Mais, pour ceux qui aspirent à remplir les cases d’une vieille photo de classe, c’est totalement réjouissant….

L’apaisement procuré par « l’empathie »

Voilà une série qui justifie à elle seule d’avoir un abonnement Canal +. Une vraie merveille ! Très loin des grosses cavaleries américaines, une série intimiste franco-canadienne d’une justesse de ton incroyable. Cela se passe au Quebec, dans un français imagé qui mérite amplement les sous-titres suggérés, tant les accents et les formules canadiennes sont prononcés.

Une action dans un institut psychiatrique où une médecin psychiatre cabossée par la vie tente de venir en aide à des malades. Elle est aidée par un assistant black d’une placidité absolue, Mortimer. Ils ne sont pas trop de deux pour faire face à des situations urgentes. Ces deux-là se débattent comme ils peuvent. Ils malaxent la pate à modeler de l’humain avec dévouement et dans le calme. Ils cherchent à colmater les failles de tristes destins. Avec une abnégation qui force le respect… D’autant qu’eux-mêmes ne sont pas exempts de déchirures intimes, comme on le découvre au fil des épisodes. Les retours en arrière sont lumineux pour comprendre les moteurs des uns et des autres. Et les coups du sort sont stupéfiants, donnant à ce microcosme d’humanité écorchée vive une résilience exemplaire. Et puis, il y a le choc des images, teinté parfois d’un sur-réalisme bien trouvé de danseurs en tutus pour marquer les troubles du cerveau.

La série constituée d’une seule saison de 10 épisodes ( on ne peut espérer qu’une suite ) est un vrai bonheur. On se surprend à repenser à ces personnages hors-norme et à l’émotion pouvant naître subrepticement « chez les fous », aux côtés de cette médecin de l’âme, Suzanne Bienaimé jouée avec subtilité par une actrice canadienne inconnue. Tous les seconds rôles sont étincelants d’authenticité. C’est de l’humain brutal, mais tellement plus vibrant que la violence qu’on nous ressert à longueur de séries US. Vraiment une série épatante, je la recommande chaudement….

L’Inde gracieuse…

Le talent est une alchimie incertaine. Difficile à anticiper, à expliquer, à décortiquer. C’est juste un jaillissement, un éclair qui vous surprend et vous secoue dans vos fondements. Vous êtes saisi(e) et vous laissez entraîner dans une histoire savoureuse, et cela d’autant plus qu’elle est « d’après une histoire vraie » selon la formule consacrée.

Pauline nous associe à son histoire personnelle avec humour, charme et une grâce irrésistible. Surtout quand elle se lance dans des mouvements gracieux de danse indienne ou qu’elle s’emmaillote dans un sari flamboyant comme si cela lui était le geste le plus naturel du monde. Elle a su capter l’essence de l’Inde profonde et nous le partage avec passion. Un grand spectacle !… Du coup, on comprend mieux la grande intensité psychologique de notre amie. Elle est bien partie pour atteindre son nirvana. Mais espérons-le sans atteindre le niveau suprême de Buddha, on a trop besoin de sa vivacité…

Sabordage digne et sobre…

Je n’ai jamais trop porté l’homme dans mon coeur. Trop politicien pour essayer de construire ce centre vers lequel personne ne penche naturellement. Sa personnalité faible, et en même temps autoritaire, n’a jamais permis de créer l’adhésion des foules. Son ambition a toujours été un peu malsaine, car il la cachait, contrairement à d’autres qui estimaient y penser « en se rasant ». Enfin l’absence de charisme le condamnait, dans un pays qui ne se laisse séduire que par la fougue, le verbe et la sympathie.

Pourtant, il a osé prendre un poste impossible, il y a neuf mois. Un siège éjectable. Un essaim de frelons. Un pari impossible… Le voilà promis à la chute, alors que son bilan est très maigre. Tout ça pour ça ?

Son discours qui a précédé sa question de confiance, mérite d’être entendu de tous. C’est un discours de haut-vol qui m’a réconcilié – un peu tardivement – avec l’homme. On comprend mieux ce qui le motive à « aller au casse-pipe ». Il y tient un propos sobre, profond et plein de sens. Un appel à la responsabilité qui s’adresse à chacun, loin des querelles de parti. Dans une Assemblée traditionnellement chahuteuse, son dernier quart de discours se tient dans un profond silence. Il y a des accents de de Gaulle et de Mendes-France dans ce discours.

Je doute, hélas, qu’il remporte son pari. Il va partir, mais avec panache. Bravo monsieur le premier ministre… Vous méritiez que les Français vous réservent un meilleur sort.

Reste à des partis inconciliables d’essayer de trouver un compromis. Notre avenir s’assombrit de jour en jour, au fur et à mesure que le grand compteur de la dette s’emballe. Un jour de tristesse…

13 Jours, 13 Nuits… d’angoisse !

Ce film tient l’affiche depuis plusieurs semaines, il est à voir impérativement avant de disparaître des écrans.

Un film puissant qui vous prend à la gorge dès les premières images. Cette situation de repli désordonné de grandes puissances après l’échec de leurs interventions extérieures rappelle bien sûr l’abandon du Vietnam par les Etats Unis en 1975. C’est la fin d’un monde, un château de cartes qui s’écroule, les certitudes morales du modèle occidental qui s’effondrent… Le sauve-qui-peut généralisé peut s’effectuer de manière brutale et égoïste ou avec quelques derniers soubresauts d’humanité face à tous les laissés-pour-compte, ces autochtones qui ont servi la cause occidentale dont la vie est menacée par la vengeance des vainqueurs.

Mohamed Bida, algérien, dont le père a choisi le camp de la France en 1962, et qui a eu la chance d’être rapatrié, a une occasion unique de rendre la monnaie de sa dette familiale. Il est le chef de la sécurité de l’Ambassade de France à Kaboul, appelé en août 2021 à rapatrier des milliers d’Afghans et d’Européens qui ont trouvé refuge dans la dernière ambassade ouverte dans le pays. Le film raconte sa délicate mission face à des Talibans expéditifs qui n’ont pas envie de faire de quartiers.

La tension est présente dans chaque scène. Face à cette pression, Mohamed ( excellent Roschdy Zem ) garde son calme et reste fidèle à ses valeurs. Il va réussir la mission qu’il s’est lui-même assigné et sauver quelque 2.800 personnes au prix d’une retraite chaotique émaillée de nombreux incidents et d’attentat. Rien que pour ce fait d’arme personnel, le film méritait d’être tourné. Rendre hommage à un grand monsieur qui a honoré son drapeau et n’a été promu que « chevalier » de la légion d’honneur pour avoir pris tous les risques.

Ce qui fait aussi le succès du film, ce sont les moyens matériels mis au service de l’histoire : un Kaboul à la dérive avec son aéroport pris d’assaut est parfaitement restitué sur les terres du Maroc. Dimitri Rassam, le producteur, aidé par Disney Plus, a mis le paquet pour mettre en valeur cet épisode où la France a tenu la place qui est la sienne dans le concert des Nations. Une France qu’on aime, qui n’abandonne pas ceux qui lui ont été fidèles et ceux qui sont menacés dans leur existence. Oui « thirteen » peut subrepticement devenir « thirty », voire « forty », les Français prononçant si mal l’anglais….

« Boites de conserve » : triste reflet de l’époque

Un livre référence sur un phénomène de société : les sites de rencontre. Arnaud Poissonnier que j’ai été amené à rencontrer dans ma vie professionnelle, m’a donné envie de lire son livre « Boites de conserve » sur un sujet majeur : comment rencontrer l’amour ? Les nouveaux outils digitaux facilitent-ils la chose ? Pourquoi les sites de rencontres suscitent beaucoup de défiance ?…

Nous voici embarqués dans le quotidien des célibataires en quête de l’âme soeur et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas un voyage tranquille. Face à l’idée simple d’avoir un ( grand ) choix grâce à la technologie, l’usage n’est pas simple et provoque des déviances. Arnaud les explore dans le détail, en partant au départ de sa déception d’utilisateur n’ayant connu que des déconvenues. Très vite, le livre devient une attaque en règle contre les sites qui jouent un jeu malsain, entre l’intérêt économique de garder des clients et l’objectif annoncé de « placer » ses clients et donc de les perdre. L’auteur a bien approfondi son sujet, et ses commentaires sont pleins de sel. Les nombreux témoignages apportent du vécu, et viennent compléter habilement la démonstration. On s’amuse ou on s’effraie devant cette condition humaine se débattant dans son bocal. Les déviances sur l’addiction que cela provoque, ou sur le manque de self-estime que les nombreux rejets occasionnent, sont instructives et attristantes. Ce « jeu » laisse beaucoup de personnes sur le carreau, notamment ( mais pas uniquement ) des femmes qui poursuivent souvent des objectifs plus long terme que des hommes en situation de chasse et de conquêtes d’un soir. Et puis, la malveillance, la mauvaise éducation, la violence parfois s’ajoutent au débat, ce qui peut vite tourner au cauchemar. Comment en est-on arrivé là ?

Arnaud est très pertinent dans ses attaques, les sites étant si peu transparents. Il fait un formidable travail d’information et décortique les tenants et aboutissants de cette « industrie » sur un ton décapant et enlevé. On frissonne à quelques passages qui traduisent la bassesse de la condition humaine, et de certain(e)s de ses représentant(e)s. C’est assez déprimant, même si la lecture est hautement utile. Parfois, on se sent heureux de ne pas être dans la cible. On aurait aimé, quand même, pour balancer le discours, avoir quelques illustrations de rencontres réussies, pour montrer que tout n’est pas totalement noir. Après tout, de nombreux couples dans nos entourages sont issus de ces sites. « 5% » de taux de réussite, nous répond Arnaud tristement…

Au final, Arnaud ne se contente pas de critiquer. Il fait de nombreuses propositions pour améliorer les retours d’expérience. Il en appelle au pouvoirs publics pour réglementer une profession de cow-boys. C’est précieux et marqué du coin du bon sens. Le célibat subi qui a toujours existé, mais qui est plus mal vécu aujourd’hui, est, il est vrai, néfaste à l’harmonie de notre société et à son développement, et pas seulement sur le plan démographique. Il y a une oeuvre de salut public dans cette mission de se faire rencontrer les deux sexes.

Fort bien… Hélas, une fois de plus, on incite un Etat omnipotent à rentrer dans la vie privée des gens, et à réglementer davantage, dans un pays déjà corseté par son administration. Oui, mais c’est cette fois pour la bonne cause !… Sans doute… Mais ne serait-il pas plus efficace d’apprendre à l’école, dès le plus jeune âge, le respect de l’autre, la bienveillance, la volonté de ne pas blesser pour éviter ces comportements déviants qui font de la fréquentation de ces sites parfois un enfer ? La recherche amoureuse ne déroge pas de toutes les inter-relations sociales de la vie où nous pêchons par un égo démesuré, une vanité débordante et un besoin d’instaurer un rapport de force. Reprenons la formation de nos enfants. Ils seront plus équilibrés, devenus adultes, pour trouver l’âme soeur. Un veux pieux ? Oui probablement…. Alors dans un monde imparfait, mieux vaut avoir les yeux ouverts et lire « Boites de conserves ». Vous y apprendrez beaucoup sur nos congénères.

Une nuit noir d’encre

En 2012, quand j’ai lu ce livre la première fois, j’ai reçu une claque comme jamais. Hélas, je ne connaissais pas Babelio et n’ai pu coucher sur le site mes émotions pour les revivre occasionnellement lors d’une relecture de « ma critique » ( si tant est qu’on puisse critiquer un tel témoignage ). Aussi, en redécouvrant le livre dans ma bibliothèque, j’ai replongé… Comme dans un bain d’eau froide. Les sens en éveil. L’épiderme en chair de poule. La curiosité exacerbée. L’envie d’en découdre avec le souvenir d’un grand roman, un des meilleurs de ces dernières années. La re-lecture allait-elle délivrer les mêmes palpitations, sans l’effet de surprise de la découverte ?

Bingo… Je l’ai dévoré, alors que je suis actuellement un peu en manque de concentration et que d’autres livres me prennent plusieurs semaines pour les achever. Cette « nuit » est tellement immersive qu’elle vous capture totalement, pleinement, intensément. Delphine raconte sa famille avec chaleur, empathie, et aussi surtout un tact infini. Cette famille est réjouissante dans toutes ses outrances. Les deux ancêtres enchaînent les naissances avec désinvolture pour construire une famille multicolore dans ses sensibilités. Avec le reflet d’une époque d’après-guerre où une solidarité franche et entière était de mise. le récit est enjoué et provoque une forte identification du lecteur. Surtout qu’il apparaît vite que l’objet est de rendre hommage à Lucile, une des membres de la fratrie et mère de l’auteur. Parler avec émotion de sa mère qui a eu un triste destin, voilà bien la plus belle des motivations pour écrire un livre. J’aurais adoré en faire autant…

J’ai retrouvé très vite ce qui m’avait plu, il y a dix ans. Cette élégance infinie à décrire l’intime, cette retenue à explorer un passé lointain et douloureux, cette réticence à montrer son linge sale au public. Quelle écriture finement ciselée !… Les traumatismes sont juste effleurés, mais ils innervent tout le récit d’un poison émotionnel qui se diffuse insidieusement. Delphine lutte pour explorer les faces sombres de sa famille et rendre grâce, de manière lumineuse, au souvenir d’une mère. Une mère qui a chaviré, sombré, avant de se remettre à flot pour une fin de vie terne et triste. Toute cette famille donne l’impression d’avoir échappé à un naufrage dont on ne mesure gère l’intensité. Les survivants font plus ou moins bloc, et essayent d’oublier les absents, les morts, les suicidés.

Il est impossible d’en dire plus sans divulguer la trame. C’est une histoire qui se lit en silence, l’attention captive et la rate au court-bouillon. Quand en plus cette famille dysfonctionnelle trouve une résonance dans votre propre histoire personnelle, l’émotion est à son comble. Voilà pourquoi je classe ce roman tout en haut. Toujours au sommet de mes plus grandes émotions. Et une troisième lecture n’en changera rien…

Loi Duplomb : la tentation de la facilité

Je suis en colère… Les Français sont une fois de plus adeptes des solutions faciles avec cette mobilisation générale contre la Loi Duplomb. Une approche angélique des problèmes qui ne cherche pas à analyser le problème froidement pour trouver une solution médiane. Non, l’idée est de tuer un produit suspect, quels que soient les effets délétères que cela peut avoir sur le plan économique. L’industrie et le progrès sont nécessairement les artisans d’un monde malfaisant qui ne vise qu’à sacrifier le bien-être de l’humanité au service d’intérêts particuliers. En d’autres termes, tous pourris, surtout dans la chimie. Tuons tous ces industriels et ces paysans dévoyés… Une nouvelle manifestation, s’il en était besoin, de la disparition du mot « nuance » au pays de la « révolution ».

Analysons la question calmement. Pourquoi des politiques prendraient-ils le risque de s’opposer à la vox populi, en réintroduisant en France un produit qui reste accepté par l’ensemble des 26 pays d’Europe ? Sont-ils fous, voire suicidaires au pays des coupeurs de têtes ? Ou ont-ils simplement pondéré ces risques politiques au regard de l’intérêt pour la nation, et notamment notre agriculture très handicapée dans la lutte qu’elle mène contre ses concurrents étrangers. ?

Ces politiques ont du courage. Ce ne sont pas des jouets entre les mains de lobbies. Des hommes et femmes qui veulent rétablir un certain équilibre pour que la France reste dans la course.

Avez-vous remarqué dans les supermarchés ou même dans les marchés de nos villages l’origine des légumes et des fruits qui nous sont vendus ? Ce sont maintenant essentiellement des produits étrangers. Des tomates espagnoles, des abricots italiens, des cerises belges, des pêches portugaises, du jambon allemand ou espagnol… Tout est à l’avenant. Notre agriculture, autrefois la force de la France, est à la dérive, ce qui est stupéfiant dans un pays au climat tempéré qui ne souffre pas trop de déficits hydriques. Alors pourquoi cette perte de compétitivité ? Posons-nous cette bonne question avant de jeter l’anathème à nouveau sur nos paysans…

C’est souvent la conséquence de nos réglementations stupides qui alourdissent le compte d’exploitation de nos agriculteurs. Des coûts qu’ils ne peuvent répercuter, sous la pression des centrales d’achat des grands distributeurs. C’est une lente glissade pour tous ceux qui ont la lourde mission de nous nourrir, et qui finissent pour beaucoup à attenter à leurs jours. Ou simplement à tout abandonner rendant leurs terres à la friche.

Face à cela, nous pourrions être solidaires, en acceptant de payer plus chers nos fruits et légumes, voire notre charcuterie, qui bénéficient d’une haute protection environnementale et gustative. Que nenni !… En dehors de la louable initiative de la marque « C’est qui le patron » qui a trouvé quelques soutiens ( votre serviteur en premier lieu ), les Français continuent à faire leurs emplettes « au prix le plus bas », soit essentiellement avec des produits venant au-delà de nos frontières.

Dans ce contexte, il faudrait réfléchir à deux fois avant de fixer de nouveaux poids aux pieds des forces vives de notre pays. Déjà en 2001, nous avons pris des décisions funestes avec les 35 h. Une superbe avancée sociale, tellement bonne qu’elle n’a été suivie par aucun autre pays d’Europe. Bilan : après 25 ans, notre industrie est au tapis. Le nombre de voitures produites en France est passé de 4 millions en 2001 à 1,8 millions en 25 ans. Regardez la marque de la voiture dans votre garage, elle a peu de chance d’être française, et si elle l’est, cette voiture a été fabriquée, une fois sur deux, à l’étranger… C’est une casse sociale terrible dont nous subissons les conséquences chaque jour avec un mal-être croissant de notre population. Voulons-nous la même chose pour notre agriculture ?

Etre adepte de la Loi Duplomb, ce n’est pas donner un blanc-seing aux neonicotinoïdes en général. C’est juste considérer que ce produit, jugé comme « safe » par l’agence sanitaire européenne et utilisé sans états d’âmes par tous nos voisins, est un moindre mal, avant de lui trouver un substitut. Une démarche raisonnable. Plus en tout cas que de l’interdire, de pénaliser nos agriculteurs et d’importer massivement des produits étrangers qui auront été produits avec son aide.

Défendre des intérêts économiques, c’est aussi défendre la collectivité. Arrêtons de penser que conduire nos paysans à la faillite n’aura pas de conséquences sociales et humanitaires à la même hauteur que tous les scénarios catastrophes que nous brodent nos écolos, une fois de plus, très anxiogènes.

Pour ma part, j’en ai marre de ces Français arrogants qui estiment en savoir toujours davantage sur toutes ces questions sociétales que nos voisins. La France n’est plus le phare de l’occident, ne vous en déplaise. C’est un pays malade qui fait rire ses voisins ou inspire leur pitié, à l’image des Suisses très ironiques sur notre société en crise.

Nous allons tout droit vers le dépôt de bilan. Je vous jure que ce jour-là, la question des neonicotinoïdes vous paraîtra quantité négligeable. Mais ce sera alors trop tard… Essayons d’éviter la chose et de sauver ce qui peut l’être…

« Tata », roman un peu « too much »…

Ce roman m’a passablement indisposé, et j’ai mis donc trois mois pour le finir. Valérie Perrin est pourtant une romancière géniale. J’ai adoré « Changer l’eau des fleurs » et aimé « Trois ». Hélas, dans ce livre « Tata », elle pousse le bouchon un peu loin. 

Expliquons-nous : la signature de Valerie Perrin est un style foisonnant, à la « Claude Lelouch », son compagnon dans la vie. Un style chargé de détails qui donne à ses personnages une densité impressionnante. Ils vivent sous nos yeux, avec leurs pensées, leur passé, leurs sentiments. C’est de la littérature immersive qui vous happe dans un récit proche de la vie. Cela peut être génial, mais comme Lelouch dans ses derniers films, il y a risque d’overdose quand cela prend une dimension trop forte. 

Valerie Perrin est adepte du récit déstructuré, avec des flash-backs incessants. Il faut être très concentré pour cerner vite de quoi, de qui, de quand on parle. Dans « Trois », j’avais déjà évoqué cette impression de voir un kaléidoscope d’images tourbillonnantes pour saisir, à certains moments, quand le cerveau s’ajuste, un morceau de vie. Dans « Tata », la lumière s’apparente davantage à un stroboscope de boite de nuit, des flashs incessants qui figent le récit, pour passer immédiatement à autre chose. Une décomposition de l’intrigue qui vire à l’exercice de style, et devient indigeste. C’est triste, car l’auteur a un talent fou. Elle sait tricoter une histoire et s’appuie sans doute sur des expériences personnelles qui donnent une folle authenticité au récit.

Autre faux pas à mes yeux, « Tata » flirte à nouveau comme dans « Trois » avec le politiquement correct, les états d’âme consensuels, les faits de société un peu parachutés dans l’intrigue qui n’ont d’autres buts que d’être complaisants avec les lecteurs. Cette fois-ci, c’est le drame des victimes d’agressions sexuelles qui est ajouté au scénario, comme si ces passages compatissants étaient des étapes nécessaires pour se faire aimer et provoquer l’adhésion. Mais Valérie n’a pas besoin de ces grosses ficelles pour être aimée…

Le scénario de « Tata » est tarabiscoté, mais il soutient l’attention jusqu’au bout. L’auteur est une sacrée interprète de la vie des petites gens, ici dans une petite ville de Bourgogne. Des passages sont vraiment lumineux… Mais davantage de simplicité ne nuirait pas. Un récit court, musclé, condensé, et sans fioritures sociétales, tel est l’exercice d’atelier d’écriture que je suggérerais pour le prochain roman. Avec bienveillance et respect, pour retrouver simplement les émotions qui ont été les miennes à la lecture de la vie de Violette ( « Changer l’eau des fleurs » ).

Rapaces, bon shoot d’angoisse

C’est toujours attractif de voir des faits de société sous un angle nouveau. « Rapaces » innove en mettant en avant la presse de caniveau, du style « Détective » qui se repaît des faits divers avec un sensationnalisme poussé jusqu’à l’écoeurement. Des journalistes mal-aimés donc qui disent pratiquer « un journalisme d’investigation », tout en subissant le diktat nauséeux de leur comité de rédaction.

Samuel ( très bon Sami Bouajila ) a une haute idée de son métier, et quand il enquête, c’est en complément de la Police. Il veut faire avancer la vérité… Dans un crime abject qui semble être le fait de plusieurs personnes, il a l’imprudence d’associer sa fille Ava ( parfaite Mallory Wannecque ) en stage au sein de son journal. L’enquête avance donc dans la direction d’un crime passé qui présente des similitudes avec le dernier meurtre.

« Rapaces » est assurément un film d’atmosphère. Il distille lentement une tension croissante à partir d’images de campagne, porteuses d’une sourde menace, tel qu’on peut le ressentir dans des régions américaines reculées. Sauf que l’action se passe là dans un village du Nord de chez nous, avec un indicateur d’anxiété croissante représentée par les aiguilles d’une radio CB, de plus en plus dans le rouge au fur et à mesure que l’ennemi est proche. La tension explose tout d’un coup pour atteindre un paroxysme total dans un lieu public. N’en disons pas plus…

Le suspens est très fort, et cela faisait longtemps que je n’avais pas connu dans un film français une telle anxiété. C’est une vraie réussite de vibrer à ce point autour d’images, comme autrefois avec « le salaire de la peur ». Hélas, l’intrigue retombe vite, trop vite… On aurait aimé un dénouement se prolongeant un peu pour continuer à suer sur son fauteuil. En tout cas, « Rapaces » renouvèle bien un genre qu’on ne voit plus guère sur nos écrans. Rien que pour cela, il mérite le détour…

Apophtegme

L’amoureux des belles lettres que je suis, aime défendre des mots oubliés. Mais parfois, c’est un combat perdu d’avance…. Apophtegme, pour désigner une maxime de vie qu’on peut tirer d’un bon mot ou d’une expérience réussie, est un mot difficile. Presque prétentieux. Et sa prononciation « à coucher dehors » n’aide pas. J’ai bien peur que ce mot tiré des oubliettes de nos usages n’y retourne illico presto pour manque de pragmatisme avec le souci de simplification de notre époque. Aphorisme se substituera à lui, sans prétendre à une meilleure popularité.

Titre abscons con, contenu bien tenu

« J’étais rivé vers l’avant, et j’ai eu besoin de regarder en arrière » dit un jeune personnage du film. C’est l’idée de base de ce film chaleureux sans doute le meilleur film de Cédric Klapisch. Un film touchant qui vous prend aux tripes, au rappel que la France est un arbre aux racines profondes, et que ces racines ont contribué à développer les branches vigoureuses et les feuillages verdoyants dont nous profitons aujourd’hui. Encore faut-il en être conscients, alors que nous nous sommes scotchés à des écrans qui symbolisent l’avenir à nos yeux !…

Un héritage inattendu peut être l’occasion de regarder en arrière, et de faire face au passé. Un passé riche, avec des écrivains et des peintres célèbres qui ont marqué leur époque. Mais aussi des inconnus qui croquent dans l’avenir – leur avenir, notre passé – avec joie et désinvolture. Klapisch juxtapose notre époque un peu speed et superficielle avec la fin du XIXème siècle, lente, arriérée, mais aux passions aussi intenses. La digitalisation des images permet des images stupéfiantes d’un Paris qui n’était alors encore qu’un village.

Pour justifier cette quête d’esthétisme, quoi de mieux qu’une recherche généalogique pour identifier une ancêtre méconnue de ses propres descendants ! Rassembler quatre représentants de branche familiale, aussi dissonants que possible, et le tour est joué. La famille au sens large est un élément très fédérateur de nos contemporains, les liens du sang rapprochent au-delà des postures des uns et des autres. Quand, en plus, cet investissement dans le passé nous fait redécouvrir la trace de nos gloires nationales, le film est sûr de nous toucher au coeur. Il y a là un peu de facilité dans le scénario, mais c’est fait avec tant de finesse et de plaisir que le spectateur se laisse porter, avec un sourire béat.

D’autant que les acteurs sont tous formidables, Suzanne Lindon, en premier lieu qui, avec son timide sourire, rentre parfaitement dans les habits d’une femme du temps passé. Tous les autres sont parfaits, on note des seconds rôles étincelants, notamment Sara Giraudeau, Olivier Gourmet, François Berléand, Philippine Leroy-Beaulieu, on ne peut tous les citer.

Ce film est donc une plongée régénérante dans un siècle passé, sans nostalgie aucune, mais avec l’idée innovante que le passé peut nous aider à mieux vivre notre présent. Un film subtil qui a la griffe de ce que notre pays apporte parfois au cinéma mondial : du plaisir, de la distinction, de l’émotion et de la non-violence….

Un balcon en forêt

Quelle plume !… Ce livre, on me l’avait conseillé depuis longtemps, je l’avais acheté, mais je ne l’ouvrais pas. J’attendais d’être dans de bonnes dispositions pour aborder ce que je pressentais comme une oeuvre majeure. Il faut être, en effet, psychologiquement réceptif face à un roman où il ne se passe presque rien, et qui ligote le lecteur dans des descriptions denses d’une nature brute, avec l’aide d’une avalanche de métaphores.

Bref une écriture très travaillée, pour ainsi dire Proustienne, assez éloignée des attentes de notre époque. Ce n’est pas une lecture instinctive. Le livre se sirote donc par petites lampées qui dégagent une explosion de saveurs; comme pour Proust, on le reprend sans volonté de s’insérer dans l’intrigue, juste pour le plaisir fugace du moment. Ce livre doit être lu avec un stabilo-boss pour noter le choc émotionnel que suscitent quelques passages. Du grand Art !…

La Drôle de Guerre, ce moment où tout un peuple s’est figé dans l’attente d’une attaque qui ne venait pas, est un moment de rupture, d’introspection, de communion avec son environnement. Julien Gracq retranscrit merveilleusement cette attente lourde, où faute d’action, les hommes étaient contraints à observer la forêt, dans leur fortin, derrière leur canon-antichar. Et accessoirement de nouer des amours passagères avec des filles locales. La rencontre avec Mona est une pure merveille à la fin du premier quart du livre. Au bout du chapitre, je l’ai repris immédiatement pour revivre cette émotion forte, tant cette rencontre était finement ciselée. Quel talent !…

Mais le personnage de Grange ne reprend pas goût à ce contact régénérant. Il s’enferme dans le néant d’une attente impossible et arpente la forêt les sens en éveil. Le récit se dilue dans la certitude montante d’un échec annoncé. Hélas, le moral n’était pas du côté de nos armées en ces jours du printemps 1940.

L’événement tant attendu survient en tout fin du récit. Mais tout y est elliptique, et l’ennemi est à peine vu. Après tout, ce n’était pas le plus important… La longue attente et le déclin de la foi au sein d’une armée démotivée sont au coeur du récit. Une façon puissante de comprendre la déroute du pays en quelques jours. Avec un talent littéraire qui fait de Gracq un des plus grands auteurs du XXème siècle.

La cuisine en vedette

La grande cuisine est devenue un fait de société, pour ne pas dire une marotte de nos contemporains biberonnés aux Top-Chefs et autres séries télévisuelles. C’est aussi l’expression d’une spécificité bien française, l’art de mettre la nourriture en farandole gustative, et d’encenser les artisans étoilés qui s’appliquent avec volupté à cet art fugace appelé à émerveiller les sens, avant de disparaître à jamais dans des assiettes avidement saucées.

Les cinéastes ont pris la mesure du phénomène et sortent de plus en plus de films gastronomiques. Quand c’est un cinéaste international au tropisme asiatique, Regis Wargnier qui s’attèle à l’ouvrage, l’exotisme a des chances d’être au rendez-vous. Bingo ! Un grand chef disparaît le jour de l’attribution de sa troisième étoile. Une histoire pour le moins mystérieuse… Avec un long détour en Asie des protagonistes en quête de ce chef disparu.

Plus que le scénario assez convenu, ce qui frappe dans le film est la célébration permanente de la France éternelle : dans les premières images somptueuses tournées dans le Moulin de Rosmadec à Pont-Aven; dans la forêt primaire de Brocéliande pour des scènes de chasse ; dans les cuisines animées d’un grand restaurant attendant le verdict du Michelin ; dans les gestes précis des commis ; dans le même cérémonial teinté de mots français au sein d’un grand restaurant taïwannais ; dans la primauté du français dans beaucoup de scènes en Asie… Par ce film, Wargnier rend grâce superbement à notre art de vivre. Il n’en célèbre pas moins aussi la beauté de Taïwan, ce qui produira, à coup sûr, des envies de voyages.

Pour revenir à l’intrigue, la quête du chef disparu se prolonge. Il semble avoir, ici et là, laissé des traces par des plats qui ont sa griffe. Est-il toujours vivant ? Exerce-t-il toujours derrière ses fourneaux ? Même si le mystère se dénoue rapidement, il rebondit à loisir pour virer à ce qui s’apparente à un mythe. La quintessence de l’esprit français, un chef exceptionnel qui a marqué à jamais son art et qui hante les lieux partout où les papilles sont à la fête. Bel hommage, avec des acteurs magnifiques, en particulier la jeune Julia de Nunez qui est une fille stellaire pour son papa Clovis Cornillac. Du bon cinéma, basique et plaisant…

Go !… Même sans connaître…

Le Joueur de Go est un film à recommander aux amoureux du Japon ( ils sont nombreux ). C’est une superbe carte postale du Japon de l’ère Edo (avant 1868, mais il est difficile de déterminer une date plus précise ). Un samouraï banni vit chichement avec sa fille et s’adonne au jeu de Go qu’il maîtrise parfaitement.

Calme, serein, totalement dans le self-control, avare de mots, une présence totalement magnétique, l’homme attire les regards. Il a un détachement à la Clint Eastwood des westerns spaghettis. Il se promène nonchalamment avec son sabre à la ceinture, et tire une gloire de son honnêteté sans faille. Il s’abstient même de gagner, quand il mesure les effets négatifs que pourrait entraîner sa victoire.

Mais, en même temps, deux événements viennent troubler sa quiétude. Il est soupçonné d’un vol auprès d’un riche marchand chez qui il jouait. Et il apprend que l’homme qui l’a fait bannir de son ancien fief, a violenté feu sa femme et mère de sa fille. Il part donc en « croisade » pour rétablir son honneur sur les deux tableaux. Pour gagner du temps, il donne sa fille en gage au bordel du coin, avec le risque qu’elle devienne pensionnaire de l’établissement, s’il ne revient pas à temps. Une course contre le déshonneur est donc en jeu…

Objectivement, l’histoire laisse le spectateur un peu hermétique. L’intrigue n’est pas le coeur du film. Le coeur est plutôt dans les nombreuses parties de Go qui émaillent le récit, dont le spectateur étranger ne comprend mie, faute de connaître les règles. Alors, on s’attache aux décors épatants, aux seconds plans d’arbres en fleurs, aux expressions puissantes des visages et à l’agitation de ce monde de petites gens qui observent les prestigieux adversaires… Des courses en Geta de bois s’enchaînent dans un déhanchement de pingouins de la banquise, les regards se croisent et se jaugent avec détermination, les jetons sont posés sur l’échiquier comme des coups portés à titre fatal… Le Japonais aux sonorités claquantes ajoute au folklore.

C’est un spectacle tellement extraordinaire qu’il laisse sans voix. Malgré les sous-titres, le spectateur en est réduit à suivre le mouvement sans tout comprendre, pris dans un tourbillon incessant. Cela ne ressemble à rien de ce que nous connaissons et c’est bien cela qui fait toute la saveur du film.

Au final, cette histoire de samouraïs rend ce Japon exotique très désirable. Il donne envie de repartir au pays du Soleil Levant, tellement unique, qu’il ne ressemble à aucun autre. Du cinéma qui fait voyager…..

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